Histoire

Un Bateau vivant et accueillant

 Le bateau-chapelle des bateliers est un chaland tracté construit en 1919 à Amfreville (Eure) et destiné au transport de charbon.

Son nom d'origine est " Langemark ", celui d'une commune belge située près d'Ypres où furent employés les gaz asphyxiants pour la première fois le 22 avril 1915. Son Certificat de Jaugeage date du 2 juin 1919 et sa première immatriculation date du 7 juin 1919 sous le n° 4195 pour l'Etat français. Sa nouvelle immatriculation à Paris date du 24 juin 1924 sous le n° 9401 conservé depuis.

Il a été acheté par L'Entraide Sociale Batelière par cession n° 693 du ministère des Travaux Publics le 8 avril 1936. Il fut rebaptisé "Je Sers" par l'abbé fondateur Joseph Bellanger et inauguré le 11 novembre 1936, béni par l'évêque de Versailles Mgr. Roland-Gosselin. Les aménagements ont été réalisés par la Société d'Entreprises de Maçonnerie et de Béton Armé (SEMBA), architecte Pierre Robuchon.

Extraits du n° 49 de mai 2003

Les Bateaux-Chapelle, Œuvres religieuses et sociales

Anette PINCHEDEZ, Cahiers du Musée de la Batellerie

" Pendant la première guerre mondiale, le fils d'un boulanger, jeune lieutenant séminariste, commandait un corps franc du 19ème régiment d'infanterie sur le canal de l'Oise à l'Aisne et sur l'Ailette, un affluent de l'Oise, au sud de Chauny et Laon. Ses hommes étaient presque tous des mariniers. L'un d'eux, sergent du génie pontonnier, marinier du midi, lui dit ce qu'il fallait faire pour ses frères de métier sur les plans social, moral et religieux.

Une nuit, au cours d'un coup de main périlleux, une rafale de mitrailleuse fauchait ce soldat. Avant de mourir, saisissant la main de l’officier, il haleta "Faites que ça suive” - “Oui, mon petit”.

Le lendemain 27 mai 1918, le lieutenant était lui aussi grièvement blessé. Mais les paroles du soldat-marinier revinrent souvent à l’esprit du blessé sur son lit d’hôpital, puis pendant sa convalescence. Plus tard, lorsque le lieutenant Bellanger Joseph, rendu à la vie civile, fut devenu l’abbé Bellanger (ordonné prêtre à Laval en 1924), il se fit le serment de se consacrer à l’apostolat des mariniers.

Avant de s’y livrer complètement, il effectua, un vicariat à Draveil de 1927 à 1933 où il se dépensa sans compter au service des jeunes, créant une salle de sport pour combler leur oisiveté. Pour marquer sa reconnaissance, la municipalité de Draveil appliqua à une rue de sa commune le nom de “rue de l’Abbé Bellanger” (voir encadré). 

Le 27 août 1933, il fut nommé à la fois aumônier de l’institut de La Tour à Conflans-Sainte-Honorine, une école privée pour jeunes filles (1), et aumônier général de la batellerie. Dans sa thèse sur la corporation batelière, Albert Viel rapporte 1‘évènement :

“... En 1933, en effet, dans cette jolie ville de Conflans-Sainte-Honorine accrochée aux coteaux des bords de Seine et d’Oise, à l’institut de la Tour, l’abbé, un ancien vicaire de Draveil arrivait comme aumônier et professeur. Son Evêque l’avait envoyé là pour se reposer d’un dur ministère en banlieue et de blessures de guerre. En fait, pour tout repos, dans les moments que son ministère et des cours suivis à l’Ecole des Sciences Sociales de Paris lui laissaient libres, ce prêtre se promenait sur les berges”  "...Il contemplait les péniches, s’enhardissait à les visiter, s’ingéniait à comprendre la psychologie de ceux qui les habitaient et enfin se prenait à les aimer tous, ces gens simples, si abandonnés, si désintéressés” (P. 61)

Il aborda les problèmes profonds et complexes de la profession et de la condition humaine qui était celle des gens en marge de la société.

“Trois années durant il réfléchit, consulta beaucoup à Paris, dans le Nord, à Anvers, et visita les œuvres florissantes de la Belgique batelière. Au commencement de 1936 il se trouva décidé. Ce qu’il fallait, c’était une œuvre solide, bâtie sur le roc, ample (extrêmement complexe, il le savait…) mais surtout essentiellement adaptée, c'est à dire “sociale”. Cette œuvre, ce fut l’Entr’aide Sociale Batelière;"

Ce grand invalide de guerre, licencié en sciences économiques, politiques et sociales, était bien armé pour l'énorme tâche qu’il allait entreprendre. Il la mena ardemment avec une équipe dévouée. Il fut nommé Chanoine honoraire le 14 novembre 1948 et reçut en 1962 la Légion d'Honneur au titre de Chevalier. Si l’esprit était toujours alerte, le physique trahit l’énergie, épuisé par quinze années pendant lesquelles sa clairvoyance et sa pugnacité amenèrent un mieux-être incontesté de la corporation batelière tout entière.

(...)

Le départ du Chanoine Joseph Bellanger pour raison de santé n’a pas freiné l’activité intense qu’il avait su créer au sein de l’Entr’aide Sociale Batelière. Elle a été tour à tour reprise sous différentes formes selon les nouvelles directions. Le trafic commercial ayant beaucoup baissé à partir des années 1960, l’ESB  dut progressivement fermer un grand nombre de ses filiales (il n’y en a plus qu’une actuellement, celle de Reims). Strasbourg est devenu autonome en gardant le même intitulé. L’ESB subsiste néanmoins... Six prêtres se sont succédé au chevet de l’oeuvre et, fidèles à sa devise “Je Sers”, ont continué à servir les mariniers. La scolarisation a rendu les bateliers moins dépendants d’autrui et les lois acquises les ont rendus citoyens à part entière. Des bénévoles continuent à leur apporter l’aide indispensable pour qu’ils soient en règle avec toutes les administrations (fisc, caisses d’allocations familiales ou de retraite, suivi des démarches, etc.).

La vie moderne en ce début de XXIe siècle n’a pas rendu tous les Français égaux et bien lotis. Il reste des individus à qui le sort n’a pas souri. Si les mariniers sont moins nombreux en France parce que le parc fluvial a beaucoup diminué à cause d’une mauvaise conjoncture, les cas poignants ont toujours la ressource de s’adresser à l’Entr’aide Sociale Batelière pour y trouver aide et compassion. À quantité moindre, les mêmes services leur sont rendus comme à leurs aînés des années écoulées.

Les aumôniers ont assumé la continuité en cherchant à résoudre les cas douloureux, à procurer un emploi précaire aux jeunes désœuvrés.

Des services nouveaux ont vu le jour à bord de ce chaland de la miséricorde. Une banque alimentaire assure la nourriture de base (elle traite annuellement des tonnes d’épicerie, et de produits frais (80 tonnes en 2001) Un vestiaire procure le vêtement s’il est nécessaire. Un centre de don du sang récupère le précieux liquide qui permet de sauver des vies. Notons cependant que ces trois services sont destinés sans distinction aux mariniers et aux gens d’à-terre, sans doute les plus nombreux.

Et enfin, des associations y ayant leur siège social, des cérémonies, des banquets profitent des larges espaces offerts dans les flancs de la “péniche Je Sers”.

La succession des prêtres aumôniers au Je Sers :

Bellanger 1931 à 1952 (Relayé pour cause de maladie 

de 1950 à 1952 par un prêtre des Missions de France)

Blaiziot 1952 à 1959

Cadet 1959 à 1961

Gousset 1961 à 1983

Duvallet 1983 à 1989

Hervet 1989 à 2006

Tarralle 2006 à 2010

Geneau 2010 à 2016

Aquije Matta 2016 à 2017

Nguyen Van Ha 2017 à 2018

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